jeudi 10 janvier 2008

A la rencontre de daniel mendelsohn


     " Les Disparus" de Daniel Mendelsohn : quel livre! Quelle puissance! Quelle intelligence! Quel brio!  On croit lire un livre de plus sur la Shoah, on croit avoir fait le tour du sujet, avoir lu beaucoup, presque trop. A-t-on jamais trop lu sur cette tragédie?  
      
      "Les Disparus"  est un ouvrage  indispensable. Tour à tour,  récit littéraire, journalistique, , thriller, journal intime, psychanalyse, mais aussi  enquête précise, douloureuse sur les atrocités qui ont eu lieu à Bolechow, la ville natale de sa famille, le rôle des Allemands,, la responsabilité des Ukrainiens, la sauvagerie, l'horreur à l'état pur. ... 
      C'est une Recherche en raccourci, "recherche de l'oncle perdu",  mais aussi quête de soi, des racines, réflexion sur le mal, sur l'Histoire, sur ce qu'on a appelé " La Shoah par balles", en Ukraine, avec des références littéraires ( Proust et Sebald, ses auteurs préférés), bibliques, mythologiques. 
   Mendelsohn cite  Enée, face aux victoires des Carthaginois et à sa phrase célèbre ( Sunt lacrilae rerum : il y a des larmes dans les choses, ce qui veut dire que ce qui est inerte pour les uns, musées, temples,  récits de guerre ou de massacres, , est source de douleur pour les autres) 
    
    L'auteur, un juif  américain né à Long Island en 1960, est parti sur les traces  de son grand-oncle, de sa grand-tante et de leurs quatre filles, assassinées  par les nazis durant la dernière guerre, en Ukraine, six parmi les six millions comme l'indique le sous -titre du livre ( qui bizarrement n'a pas été traduit).  
C'est aussi un livre sur la narration. Comment on raconte une histoire, l'Histoire.." 
      Il  est venu à Paris la semaine dernière et mardi 8 janvier, il était au musée d'Art et du Judaïsme, pour une conversation publique avec Alain Finkielkraut. 
S'exprimant dans un français impeccable, il s'est montré fin, drôle, brillant, humble et sûr de lui à la fois, de ce qu'il a écrit , de la portée de ce livre. Un juif new-yorkais, plutôt beau gosse, de 45 ans, bobo et gay, super intello, prof de latin grec, un régal. 
     Finkielkraut était , comme à l'accoutumé, professoral, livresque, brillant. Il multipliait les citations pour expliciter mieux sa pensée, et puis au détour d'une phrase un peu longue,un peu pédante, jamais ennuyeuse sur le fond ( comme l'intelligence peut-elle ennuyer? )   soudain il se livrait :  sa grand-mère de Lvov, sa tante cachée dans une armoire. 
   Et, par dessus tout,  son regret de ne pas être,comme Mendelsohn, parti sur les traces de ses propres  disparus. Parce que, expliquait-il, les enfants des survivants, en Europe, se sont vu signifier l'interdit d'y retourner par leurs parents. Alors que les Américains, plus distants, sont moins coupables d'avoir survécu. 

  "     Mon livre est l'histoire de la recherche d'une identité, a dit Mendelsohn en substance. La mienne. Enfant,quand j'entrais dans une pièce, les gens fondaient en larmes parce que je ressemblais tant à mon oncle Schmuel. C'est bizarre, quand on est un enfant de susciter des larmes; d'habitude les gens, surtout la famille, sont joyeux quand ils vous voient.  Je ne savais plus qui j'étais.  Je savais que je n'étais pas mon oncle . Mais si je n'étais pas lui, qui étais-je alors ?  Il m'a fallu partir à sa recherche, découvrir comment il était mort, pour enfin, m'en délivrer. 
       Une de mes amies m'a dit : " tu as écrit ce livre parce que ton grand-père n'a pas pu sauver son frère". Je pense qu'elle a raison.
     J'ai aussi voulu raconter comment l'Histoire se passe. Car c'est aussi un livre sur l'Histoire même s'il parle avant tout de ma famille. Mais c'est aussi un livre plein de larmes, qui ne se termine pas bien, car cette tragédie , la Shoah, n'a pas de fin" 
    
       La conversation aduré une heure et c'était trop court. Le public français ne s'y est pas trompé qui a fait de ce livre un des succès de l'année dernière. 

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