vendredi 5 octobre 2007

Dans le jardin de Fabienne Verdier



La grâce tient dans le mouvement, et on peut dire: la beauté est dans l'instant.."Giacomo Leopardi.


J'ai rencontré Fabienne Verdier pour la première fois, il y a sept ans, dans sa maison située à une quarantaine de kilomètres de Paris, où elle vit avec son mari et son fils. Là, dans la solitude de son atelier, elle réfléchit et peint.
Pour y accéder il faut quitter l'autoroute et c'est tout de suite la campagne, les champs, les forêts, le silence. Le petit village où elle habite toute l'année se replie autour de son église. Les maisons sont en pierre. C'est tranquille et secret.
Je me souviens encore avec précision de ces quelques heures passées là -bas. Fabienne venait de publier un trés bel ouvrage, " L'Unique trait de pinceau" ( Albin Michel), avec des photographies reproduisant ses oeuvres. Elle y expliquait sa façon de peindre, d'un seul trait de pinceau mûrement réfléchi, le qi, imprégné de ce souffle vital qu'elle a appris à puiser en elle,autour d'elle, dans une nature, patiemment observée jour aprés jour, et qu'elle restitue ensuite dans ses toiles.

Je ne connaissais pas son travail, je n'avais jamais entendu parler d'elle. Mais le livre m'avait imédiatemment séduite, intriguée. Ses tableaux m'avaient fascinée. J'aimais cette recherche autour de la calligraphie, cette façon de s'approprier les codes de la peinture extrême orientale pour les recréer avec sa puissance et sa rigueur. J'étais venue avec une photographe, pour écrire un article qui fut publié, par la suite, dans ELLE. Notre connivence a été immédiate. C'était une des ces belles journées d'octobre, où le soleil s'attarde et se déploie en un dernier adieu à l'été. Autour d'une tasse de thé et de noix du jardin, Fabienne m'a raconté longuement sa vie. Le magnétophone tournait. Je l'ai écoutée sans presque jamais l'interrompre tant ce qu'elle avait à confier était passionnant et peu banal. Il parait, je ne m'en souviens pas vraiment, que ce jour là, je l'ai encouragée à écrire son récit d'apprentissage en Chine.

Fabienne me confia qu'après avoir obtenu une bourse des Beaux Arts de Toulouse, elle était partie en Chine, dans le Sichuan. A l'université de Chonquing, une ville grise et hostile, elle avait tenté vaillamment de se faire une place, en dépit des difficultés quotidiennes. Elle avait eu la chance de tomber par hasard sur un grand maitre en caligraphie. Pendant la Révolution Culturelle, nombre de lettrés avaient été massacrés, et il ne restait que quelques clandestins qui avaient réussi à fuir les persécutions et terminaient leur vie misérablement. Maitre Huang Yuan, oublié de tous, était de ceux-là.
A force d'obstination,Fabienne put le persuader de lui enseigner la calligraphie. Au bout de six mois d'efforts de sa part, le maître qui au départ n'avait opposé qu'un silence méprisant à sa demande - une étrangère, une femme de surcroit! - accepta de révéler ses secrets à cette jeune étudiante qui tous les jours glissait sous sa porte un travail de calligraphie patiemment recopié. " Il y a en toi une résonance intérieure, lui dit-il, aprés avoir fini par frapper à la porte de sa chambre à l'université. Tu mérites d'être enseignée selon les règles. Mais je te préviens, si tu commences avec moi, il te faudra travailler dix ans ou rien du tout.»Fabienne, accepta tout de suite.
Ses premiers exercices consistèrent cependant, non pas à peindre comme elle l'avait imaginé, mais à contempler un paysage, pendant des heures, dans une immobilité totale. Ainsi fut enclenché, écrit Charles Juliet dans " Entre ciel et terre" ( Albin Michel) un ouvrage publié ces jours ci autour de son travail, " le lent processus de la connaissance de soi".
Cette histoire,son histoire, Fabienne l'a écrite l'année suivante, et publiée sous le titre "La Passagère du Silence". Un formidable succès de librairie ( 180 000 exemplaires vendus à ce jour) et prix des lectrices de ELLE, de surcroit...

Je n'ai jamais oublié cette aprés-midi là. La visite de son atelier, la découverte de son univers, les papier, les pinceaux, les objets rapportés de Chine, la beauté de ses oeuvres, la façon dont elle m'expliquait sa quête, avec simplicité et intelligence.
J'ai gardé le souvenir vivace d'une femme lumineuse, au diapason du soleil d'automne, belle et raffinée, en parfaite osmose avec la nature où elle puisait à chaque instant son inspiration et sa force.
Cette impression ne m'a jamais quittée. Fabienne se souvient aussi de cette rencontre. Si je lui ai donné, peut-être, l'envie de se raconter, elle m'a insufflé la curiosité pour la Chine où je suis allée trois fois par la suite, pour vivre diverses aventures.

Nous nous sommes peu revues au cours de ces sept années. Trois fois en tout. Car Fabienne est une ermite qui, pour peindre et chercher, a besoin de vivre cachée dans cette retraite bucolique. J'ai suivi son travail, reçu d'elle de loin en loin des cartes représentant un de ses tableaux, qui annonçaient une exposition ou me souhaitaient la bonne année de son écriture pleine, longue et élégante, comme elle. Deux de ces petits cailloux, petits signes d'amitié, sont encadrés et accrochés au mur de mon bureau. La peinture de Fabienne, entrée depuis un bon moment déjà, dans les musées et les fondations prestigieuses, achetée par les grands collectionneurs du monde entier est bien trop chère pour mes moyens. Mais ces cartes, qui voisinent avec deux lithos de Bram van Velde m'accompagnent quotidiennement dans mon travail et dans ma vie.

Je suis retournée aujourd'hui dans ce jardin magique, presque sept ans, jour pour jour aprés notre première rencontre.J'ai retrouvé la magie du jardin, les couleurs sourdes du bel automne, saison, le soleil généreux, l'accueil chaleureux de Fabienne et de Ghislain, son mari, sa moitié d'orange, drôle fin et bienveillant, qui veille sur l'oeuvre de Fabienne et travaille désormais avec elle, aprés avoir longtemps dirigé la filiale européenne dune grande marque automobile.
Ce nouveau livre sur sa peinture en était le prétexte. L'ouvrage est illustré par des photos de son nouvel atelier, bâti dans le prolongement de l'ancien par son ami l'architecte Denis Valode. Il contient aussi et surtout des reproductions de ses nouvelles toiles, des photos dde sa maison, de son jardin, et de Fabienne en train de travailer, signées par Dolorès Marat et Naoya Hatakeyama.
L'écrivain Charles Juliet a écrit un superbe texte sur son travail et mené un long entretien où elle raconte pour la première fois de façon si précise, son chemin intérieur pour retrouver l'ossature des choses. Ce qui est extraordinaire dans la peinture de Fabienne, c'est que d'un trait de pinceau et d'un seul, elle fait apparaitre le squelette des arbres, la pierre de la montagne, les veines des feuilles et des plantes, le mouvement de l'eau en un cercle parfait.
C'est pour moi, pour tous ceux qui la suivent et l'admirent, une source inépuisable d'émerveillement. Elle brûle les tableaux qui, dit-elle, n'ont pas reçu ce souffle de vie. Les autres, elle s'en émerveille comme nous, commme si au final, sa transcription de la nature dans ce qu'elle a de plus essentiel, ne provenait pas tout à fait d'elle mais lui était soufflé par une force supérieure.
Alexandre Izard a pris des photos du nouvel atelier. Il est bâti, ou plutôt creusé au dessus d'une source, où la lumière dispensée par le toit, comme dans une chapelle cirstercienne, éclaire les toiles sans jamais les écraser. Le bâtiment compose avec l'architecture locale, mais emprunte à la façon japonaise de bâtir : un déambulatoire comme dans les temples boudhistes, des fenêtres vitrées, coulissant comme des claustra de papier. la modernité extrême vient du sol en béton, de l'heureux mariage du bois, du verre et de l'acier,des luminaires et meubles de designers italiens qui décorent la partie bureau.
Les travaux ont duré un an et demi, parachevés par l'apport d'une pierre gigantesque de cinq tonnes, trouvée dans les montagnes ardennaises aprés des mois de recherches dans toute l'Europe. Un évier a été d'abord creusé en son centre par un tailleur de pierre puis le rocher a été apporté dans l'atelier et raccordé à un système de vidange. Cest là que Fabienne nettoie ses deux pinceaux gigantesques, qu'elle peut mouvoir du plafond grâce à un petit moteur. Cette installation sophistiquée lui permet de peindre en toute tranquillité,de réfléchir entre deux toiles, en notant ses trouvailles philospohiques, picturales ou poétiques dans de petits carnets, de faire le vide afin de se remplir pour créer "un nouvel ordre vivant".

Ces trois heures passées avec elle et Ghislain, nos discussions, nos échanges, ses offrandes, et l'amitié qui flottait au dessus de nous, furent encore un moment de grâce pure. La magie vibrante de l'instant.

2 commentaires:

Unknown a dit…

Michele Fitoussi

Gracias por su articulo, espero ud habla español.
Quisiera tener contacto con ud, en relación a Fabienne verdier. Mi novia se encuentra de visita en la casa de sus padres en Paris y quisiera tener contacto con la Sra. Verdier? es posible?
Espero ud puede enviarme un correo para explicar esta historia.
Agradezco su atención
galeria_malgre@hotmail.com
http://www.paginasprodigy.com.mx/tmx4343421335/page4.html

Anonyme a dit…

Je découvre aujourd'hui cet article magnifique sur une artiste que j'admire comme vous et que je suis depuis de longues années sans jamais avoir eu la chance d'une telle conversation, d'un tel échange. J'écris un article sur elle en vue de sa prochaine exposition à la galerie Jaeger Bucher, je cherchais des informations sur son atelier dont je croyais me souvenir qu'il avait été aménagé dans une chapelle, je me trompais mais pas complètement finalement...
Merci de dire si bien la beauté fulgurante de cette femme, de son parcours et de son oeuvre...